jeudi 30 décembre 2010

Mémoires gelées, colères brûlantes


Mémoires gelées (titre original: Fruset ögonblick), Camilla Ceder, Éd. JC Lattès, 2010, 356 pages. Traduit du suédois par Marie-Hélène Archambeaud.

Olofstorp, petite localité rurale dans les environs de Göteborg. Åke Melkersson a des problèmes avec sa voiture. Il décide de faire un tour à la ferme de Lise-Lott Edell et son compagnon Lars Waltz. Celui-ci effectue à l'occasion des petits travaux de mécanique, et puisqu'il vit à côté ce sera plus pratique et moins coûteux qu'appeler une dépanneuse... Mais c'est un cadavre qu'Åke découvre dans la cour de la ferme désertée. Par précaution -ou poussé par la haine- le meurtrier a pris le temps d'écraser le corps sous les roues de sa voiture après lui avoir tiré une balle dans la tête.

Choqué par sa découverte, Åke alerte la police et appelle à l'aide sa voisine, Seja Lundberg, qui réside à proximité.

Le commissaire Christian Tell et son équipe mènent l'enquête. Assez rapidement un lien est établi avec un deuxième crime commis dans une autre localité. Le travail de Tell est rendu un peu plus complexe à cause de son attirance pour un témoin, la belle et solitaire Seja.

* * *

Mémoires gelées est le premier roman d'une jeune auteure, née en 1976.

L'intrigue est très classique -ce n'est pas un défaut- et assez fouillée, avec les traditionnels flashbacks. Les personnages sont suffisamment nombreux pour maintenir le suspense et envoyer le lecteur sur quelques fausses pistes! (Mais sont-elles toutes vraiment fausses?...)

Le récit est plus "nerveux" que du Åke Edwardson (ce n'est pas très difficile!) et beaucoup plus classique que du Johan Theorin. S'il fallait tenter une comparaison je glisserais ce roman aux côtés de ceux de Mons Kallentoft, Mari Jungstedt ou Helene Tursten (les détails gore en moins).

Détail surprenant: les droits ont été achetés par les éditeurs de sept autres pays avant même la sortie du bouquin en Suède (1). Rappelons qu'il s'agit d'un premier roman... Ça en dit long sur la terrible pression que subit actuellement le marché suédois.

Camilla Ceder a publié cette année en Suède son deuxième polar, Babylon. On y retrouve Christian Tell, qui voit ses projets de vacances gâchés par une découverte macabre: les corps d'une prof d'archéologie et d'un de ses étudiants sont retrouvés dans un quartier huppé de Göteborg.


---NOTE---
(1) "Deckaren, som tar avstamp i ett brutalt mord på en enslig gård i Olofstorp, hade redan före utgivningen i Sverige sålts till ytterligare sju länder. Den ska översättas till bland annat tyska, italienska, holländska och danska." (Göteborgs Posten).

mercredi 29 décembre 2010

Les Anonymes : Ils auraient pu le rester...


Les Anonymes (titre original: A Simple Act of Violence), R.J. Ellory, Éd. Sonatine, 2010, 689 pages. Traduit de l'anglais par Clément Baude.

Ça m'arrive rarement, c'est en tout cas une première depuis que je gribouille sur ce blog, mais voilà un bouquin -écrit par un auteur que j'aime beaucoup- que je n'ai pas encore pu terminer.

Pour résumer mon impression générale, j'évalue grosso modo le style et la traduction à 16/20, et l'intrigue à 2/20.

Attention: ce billet contient des spoilers.

Je n'ai nullement envie de résumer l'histoire, les curieux pourront consulter le site de l'éditeur.

Première remarque, Les Anonymes ressemble un peu au (très bon) précédent roman, Vendetta. Il s'agit là aussi d'un face à face entre le "flic qui a des problèmes de famille" (l'inspecteur Robert Miller) et le "méchant mais gentil quand même" (John Robey). La CIA remplace la mafia, et nous voici transportés à Washington au lieu de la Nouvelle-Orléans.

Ces ressemblances ne suffiraient pas à elles seules pour me décourager. Une bonne variante d'un très bon roman écrit par un excellent auteur, ça ne se refuse jamais.

Malheureusement, avec ce troisième titre Ellory a opté pour la banalité et la caricature. L'intrigue de ces presque 700 pages (je reste coincé vers la page 450) pourrait se résumer en une phrase: les USA sont le Mal et la CIA est son prophète. Je n'exagère hélas que très peu.

Le "méchant" est ici un tueur de la CIA qui se retourne contre son employeur. Le lecteur a droit à ses réflexions et souvenirs dans de courts mais nombreux chapitres. C'est dans ces chapitres que réside mon problème, car il sont un festival de la caricature... Toutes les platitudes sur les vilenies de la CIA sont enchaînées les unes après les autres. La drogue aux States? Un coup de la CIA pour financer ses coups tordus en Amérique centrale. Eh oui Madame, si votre fils se drogue aujourd'hui, c'est à cause de Ronald Reagan! Le soutien américain aux Contras? Un coup de la CIA qui ne supportait pas la perspective de voir le Nicaragua transformé en Paradis Terrestre par les Sandinistes. Etc, etc...

La guerre froide? L'URSS? Connais pas. L'Union soviétique est mentionnée une seule fois (en 450 pages) pour dire que son rôle est en fait négligeable pour comprendre la politique étrangère des USA...

Ouch!

Les personnages n'échappent pas à ce traitement. À un moment du récit, lorsque Miller et le bad guy se rencontrent enfin, le célèbre Oliver North est évoqué. Eh bien le flic américain très cultivé, qui connaît les œuvres de Dürer et reconnaît sans hésitation une phrase prononcée par le Marquis Charles Maurice de Talleyrand-Périgord lors du Congrès de Vienne en 1814 (page 428 si vous ne me croyez pas), n'a jamais entendu parler du lieutenant-colonel North (1). Et que fait-il pour remédier à son ignorance? Il consulte Google et découvre avec effarement (et sans le moindre soupçon d'esprit critique) la multitude de pages Internet consacrées à North:
Une heure plus tard, assis devant son ordinateur, [Miller] inscrivit "CIA drogue" dans le moteur de recherche. Des milliers de pages s'offrirent à lui. Il cliqua sur un site et parcourut le texte qui s'affichait.
(...)
C'était comme si un monde nouveau s'ouvrait devant lui, un monde qu'il n'avait jamais soupçonné, jamais imaginé.
Re-ouch!

La prise de conscience de John Robey est une autre de ces nombreuses scènes déconcertantes. Brainwashé par la CIA (qui bien sûr ne peut recruter autrement qu'en bourrant le crâne des jeunes Américains) son job est de liquider des tas de gens (un travail de routine à la CIA, semble-t-il). Il reçoit un jour l'ordre d'assassiner un responsable sandiniste quelconque. Surpris par sa cible, le tueur se voit offrir très aimablement un whisky et se met à tailler le bout de gras avec sa victime désignée. À la fin de la conversation il appuie sur la détente, professionnalisme oblige. Mais cet échange très poli, très civilisé, va suffire pour insinuer le doute dans son esprit.

Re-re-ouch!

Et c'est comme ça tout au long du récit... Voilà un roman qui se veut sérieux, informé et "conscientisé" mais qui repose en fait sur le manichéisme et la caricature, à tel point que l'intrigue principale (l'enquête de Miller avant sa rencontre avec Robey) bien qu'intéressante, en est gâchée.

Au moins Vendetta ne prétendait d'aucune manière être une approche historique de la mafia. Le roman était très clairement une fiction. De plus on percevait dans Vendetta une certaine sympathie pour Nick le Cure-Dent et autres tueurs qui peuplent le récit. Les mafiosi de Vendetta se réunissent, mangent des pâtes en buvant du chianti, se racontent des histoires, se tapent virilement sur l'épaule et passent du bon temps. Ils trucident à tour de bras aussi, c'est leur travail, mais ils ne sont pas unidimensionnels.
On ne retrouve pas cela dans Les Anonymes. Apparemment, pour Ellory, la mafia est beaucoup plus "conviviale" et sympathique que la CIA.

* * *

En conclusion: ma déception est à la hauteur de mon admiration pour R.J. Ellory et je croise les doigts pour que le prochain bouquin retrouve le souffle des deux premiers (2). J'espère que Les Anonymes n'était rien de plus qu'un accident de parcours.

Public cible: tous ceux qui ne sont pas encore lassés, fatigués, épuisés, lessivés, saoulés par les sempiternelles rengaines "US go home" et "CIA caca". Tous ceux qui ne sont pas dérangés par les récits simplistes et manichéens. À ceux-là je dis: foncez! Comme je l'écrivais en début de billet le style est de qualité, on reconnaît bien la patte d'Ellory.

Allez... pour finir sur une remarque toute gentille (c'est Noël après tout) je reconnais volontiers que je suis un des rares (le seul?) à ne pas pouvoir adhérer à ce roman. Les critiques sont dans l'ensemble très positives, aussi bien sur les blogs (Encre Noire, Carnets Noirs, Là où les livres sont chez eux, Polar noir et blanc, Yspaddaden, Lettres exprès) que dans les médias.

[Je remercie vivement ADP et Sonatine pour m'avoir fait parvenir un exemplaire de ce livre]


---NOTES---
(1) À titre de curiosité, je signale que le magazine Marianne du 18-31 décembre 2010 consacre trois pages à l'Irangate et aux péripéties d'Oliver North... on ne peut pas vraiment dire que le bonhomme est un inconnu.
(2) Bonne nouvelle, Seul le silence et Vendetta sont disponibles au Livre de Poche. Il serait déraisonnable de s'en priver!

mardi 7 décembre 2010

United Victims - To kill or not to kill


United Victims (titre original Nærmeste Pårørende), Elsebeth Egholm, Éd. Le Cherche Midi, 2010, 417 pages. Traduit du danois par Didier Halpern.

Dicte Svendsen est journaliste. Elle vit et travaille à Århus, sur la côte du Jutland au Danemark. C'est une femme dans la quarantaine, mère d'une jeune fille, Rose, et compagne d'un photographe de presse, Bo.
"Århus, Jutland de l'Est. Dans un pays secoué par une vague de panique liée aux alertes à la bombe et aux révoltes dans les banlieues, Dicte Svendsen, journaliste, reçoit par la poste un film adressé à son attention de manière anonyme. Dès l'instant où les images se mettent à défiler sur son écran, elle sait que sa vie ne sera plus jamais la même. Ce qu'elle voit n'est rien d'autre que la décapitation bestiale d'un homme au corps ligoté, opérée au moyen d'un sabre par un personnage recouvert d'un drap noir, ne laissant apparaître que deux fentes à l'emplacement des yeux. Le terrorisme islamique est-il arrivé au Danemark? Pourquoi ce document lui est-il adressé personnellement plutôt qu'à des médias de plus grande audience?" (Extrait de la 4e de couverture).
La revendication du meurtre ne tarde pas; le tueur déclare agir au nom des victimes de crimes, au nom de Dieu et d'Allah, pour punir les méchants et pallier le laxisme de la société. S'agit-il vraiment d'un acte terroriste commis par des islamistes? S'agit-il d'une mise en scène visant à faire porter le chapeau aux fondamentalistes en particulier et aux musulmans en général? Et pourquoi la vidéo du meurtre et le message de revendication sont-ils envoyés à Dicte Svendsen?

* * *

L'histoire se déroule peu de temps après la célèbre "affaire des caricatures" (le roman est paru au Danemark en 2006). Dicte Svendsen va très vite devoir composer avec une opinion publique sensible, avec son rédacteur en chef, avec l'inspecteur de la Criminelle chargé de l'enquête, John Wagner, mais aussi avec les services de lutte contre le terrorisme. Sans oublier sa vie personnelle, compliquée par l'intrusion de souvenirs troublants.

L'enquête est classique, mais prenante. Un bon point pour le thème "justice / vengeance", qui donne du corps à l'intrigue. Comme la France ou le Canada, le Danemark a aboli la peine de mort mais une minorité souhaite un retour de la peine capitale dans les textes de loi. Egholm creuse ce sujet de la vengeance, du rôle qu'elle peut tenir dans le "travail de deuil" des proches de victimes, etc. Ce thème est essentiellement concentré dans une sorte "d'intrigue secondaire", mais je n'en dis pas plus...

Le couple formé par Rose -la fille de Dicte- et Aziz -l'apprenti flic d'origine pakistanaise- est attachant. J'ai toutefois eu un peu de mal au début à comprendre les aléas de la relation Rose/Aziz. Le récit fait en effet référence à des événements passés, que l'on devine tumultueux, et qui ont des répercussions importantes encore aujourd'hui. Mais ces événements sont peu détaillés, surtout au début du roman, et je me suis senti un peu perdu. J'en devine la raison en jetant un œil au site de l'auteure. Nærmeste pårørende est le quatrième roman de la série "Dicte Svendsen"... Voici un récapitulatif des titres déjà disponibles en danois:
  1. Skjulte fejl og mangler, 2002
  2. Selvrisiko, 2004
  3. Personskade, 2005
  4. Nærmeste pårørende, 2006 / United Victims, 2010
  5. Liv og legeme, 2008
  6. Vold og magt, 2009
D'après le site d'Elsebeth Egholm, les trois premiers ouvrages ont été traduits en allemand et suédois seulement. Les francophones, comme les Néerlandais et les Norvégiens, ont eu droit à des traductions à partir du quatrième. Yo ne pas wissen perche pantoute...

vendredi 3 décembre 2010

Le prochain Läckberg approche


Probablement janvier ou février, Actes Sud.