vendredi 30 octobre 2009

Lost (symbol) in Translation

La dernière brique de Dan Brown, The Lost Symbol, compte 509 pages.

Devinette: combien de temps a-t-il fallu pour traduire cet ouvrage en suédois?

Je vous laisse réfléchir... sortez vos calculettes... je divise 509 par x pages/jour...

Vous pouvez maintenant comparer votre réponse à celle de l'éditeur suédois: sept jours. Pas un de plus.

Jonas Axelsson, responsable chez Albert Bonniers Förlag, explique au magazine Svensk Bokhandel les raisons d'un si court délai (les infos de ce billet proviennent pour l'essentiel de ce très intéressant article). Les agents des "gros" auteurs anglophones, comme Dan Brown ou J.K. Rowling, bien souvent n'acceptent de communiquer le manuscrit aux éditeurs suédois qu'au moment de la sortie sur le marché des éditions britannique et américaine.

La traduction suédoise (c'est vrai aussi dans d'autres pays européens) sort des presses plusieurs semaines après les éditions en anglais.

Résultat: des ventes en moins pour les éditeurs suédois, allemands, néerlandais, etc. De nombreux lecteurs préfèrent en effet acheter l'édition britannique immédiatement plutôt qu'attendre deux ou trois mois la traduction "locale". Les amateurs francophones du célèbre Harry Potter connaissaient bien ce dilemme...

L'éditeur Norstedt avait en son temps décidé d'engager deux traducteurs pour le septième volume de la série Harry Potter afin d'accélérer la traduction et limiter les dégâts.

Albert Bonniers Förlag est allé bien plus loin. L'objectif était d'offrir la traduction suédoise 25 jours après la parution des éditions anglaises (sans compter les jours de repos).

Ces 25 jours de travail devaient se répartir ainsi: 7 jours pour la traduction, 7 jours pour le travail de correction, relecture, mise en page, le reste pour l'impression et la distribution à travers le pays.

Pour traduire 509 pages en 7 jours, deux traducteurs ne suffisent pas. Qu'à cela ne tienne, AB Förlag a fait appel à toute une équipe de traducteurs (six ou sept, selon que l'on se base sur l'article de SvB ou sur la liste des traducteurs fournie par le site de l'éditeur) : Ola Klingberg (qui réside à New York et a communiqué à l'éditeur suédois une traduction des premières pages du roman dès la sortie de l'édition américaine), Tove Janson Borglund, Gösta Svenn, Helena Sjöstrand, Leo Andersson, Lennart Olofsson, Peter Samuelsson. Ouf!

J'ai peine à imaginer les efforts qu'il a fallu fournir pour coordonner un tel orchestre et produire un résultat harmonieux et cohérent... Selon l'article de SvB, des directives avaient été transmises à tous les traducteurs avant même l'arrivée du manuscrit; de plus le groupe de travail communiquait quotidiennement par courriels afin d'assurer un échange d'informations permanent durant les sept journées fatidiques. La présence d'un spécialiste de l'Antiquité parmi l'équipe de traducteurs a également beaucoup aidé, selon l'éditeur.

Les délais ont été tenus, Den förlorade symbolen est sorti le 21 octobre, comme prévu. Le but d'AB Förlag était de convaincre le lecteur de ne pas céder à la tentation et de patienter un mois pour pouvoir lire les nouvelles aventures du Professeur Langdon "på svenska". Au vu du nombre d'exemplaires pré-commandés (290.000) l'éditeur semble avoir gagné son pari. Quelques petites imperfections sont encore présentes dans le texte final mais elles sont tout à fait mineures et seront corrigées dans une prochaine édition, promet AB Förlag.

Le lecteur impatient y gagne, les traducteurs je ne sais pas...

* * *

Mise à jour: SvB rapporte que les ventes de l'édition anglaise de Dan Brown -avant la sortie de la traduction suédoise- ont été de 5.000 à 10.000 copies seulement. C'est un bon résultat si on compare avec les Harry Potter in English dont les ventes ont parfois dépassé les 100.000 copies avant la mise sur le marché de la version suédoise.

lundi 26 octobre 2009

Qui sème le sang : A versus K

Le deuxième roman des aventures du Groupe A est plus sombre et violent que le premier comme le titre le laisse aisément deviner: Qui sème le sang (Seuil, traduction Rémi Cassaigne).

C'est que Jan-Olov Hultin et ses six enquêteurs se trouvent confrontés à un visiteur fort indésirable: ils apprennent par le FBI qu'un tueur en série -le "Tueur du Kentucky"- aurait embarqué à New York dans un avion à destination de Stockholm après avoir torturé et assassiné un passager Suédois (qui exerçait le beau métier de critique littéraire - je soupçonne l'auteur d'y avoir pris un malin plaisir).

L'information est-elle exacte? Peut-on intercepter le tueur avant qu'il ne disparaisse dans la nature? Pourquoi serait-il venu en Suède? Qui est-il? Quels sont ses projets, si toutefois il en a?

Le lecteur disposant à peu près des mêmes informations que le Groupe A, il est possible de tenter de deviner certains éléments de l'intrigue et voir si ces hypothèses se confirment ou pas. Vous pourrez ainsi vous exclamer "Haha! j'avais raison"... ou le plus souvent découvrir que vous étiez dans l'erreur.

Comme dans Misterioso c'est le flair des enquêteurs et le travail sur le terrain qui permettront au Groupe A de progresser. L'enquête policière occupe 95% du récit; Arne Dahl étoffe un peu ses personnages dans ce deuxième opus, approfondit l'histoire personnelle de certains d'entre eux, mais c'est l'enquête et ses multiples rebondissements qui sont au premier plan.

Le rythme est soutenu, les pistes s'enchaînent, se croisent, aboutissent parfois dans des culs-de-sac... Le dénouement a de l'ampleur et réserve quelques surprises.

Les scènes de violence ne sont pas très nombreuses mais sont parfois très dures, ce n'est certainement pas une lecture pour les jeunes.
"Désormais la machine était en marche. Tout allait changer - et c'était logique. On ne trie pas ce qu'on importe du maître du monde. Quand on choisit de gober une culture entière les yeux fermés, on tombe tôt ou tard sur sa part d'ombre."
La critique sociale est encore présente dans Qui sème le sang, mais elle dépasse désormais le strict cadre suédois: la possible arrivée d'un tueur en série américain, par exemple, est perçue par certains membres du Groupe A comme une inévitable contamination de "l'Empire américain", ce qui est un point de vue amusant à défaut d'être très original.
"Le monde rétrécit, madame, messieurs. Le monde rétrécit."
L'évolution de la Suède dans les années 80-90 a, il est vrai, fortement marqué les esprits. Il y a eu l'assassinat d'Olof Palme en 1986 qui reste toujours très présent dans l'imaginaire collectif, mais aussi et surtout l'abandon du fameux "modèle suédois", la mondialisation des échanges et de la finance, les ravages de la crise économique, le chômage, la montée du crime organisé... Cela fait beaucoup de changements en peu de temps, d'où peut-être la tentation de trouver une cause bien définie à ces bouleversements. La nostalgie pour une Suède d'antan plus solidaire et plus paisible, désormais hors de portée, l'inquiétude face à un avenir incertain, tout cela transparaît dans le roman (par les voix de Paul Hjelm et Arto Söderstedt principalement).

Qui sème le sang est un polar consistant et saignant. Il plaira surtout aux amateurs d'action. Si par contre vous ne jurez que par les bonnes vieilles "cuppa tea" à l'arsenic... accrochez bien votre ceinture!

[Merci à Mathieu pour le SP]

vendredi 23 octobre 2009

Vague nordique: ça continue

The Guardian en est tout surpris: les Américains, qui sont connus pour bouder les traductions, ont fait une place à Stieg Larsson et Arnaldur Indridason lors du dernier Bouchercon: Nordic writers sweep the board in US crime awards.

Le premier volume, The Girl With the Dragon Tattoo, a récolté l'Anthony Award du Best First Novel.

Le triomphe posthume de Stieg Larsson se poursuit ailleurs dans le monde. Le troisième volume a ainsi battu des records en Espagne, avec 200.000 exemplaires vendus en une journée (le chiffre me semble énorme, mais c'est bien ce qui est indiqué dans cette brève publiée par Dagens Nyheter, voir aussi l'article initial de Svensk Bohhandel). Chacun des volumes de Millenium s'est vendu autour du million d'exemplaires. Ce succès ouvre la route à d'autres auteurs. Les traductions espagnoles de Johan Theorin et Arne Dahl (entre autres) sont en cours.

* * *

Quelques jours après le Bouchercon, sur les bords de la Tamise cette fois, Johan Theorin était accueilli avec les honneurs et se voyait remettre The CWA John Creasey (New Blood) Dagger 2009 pour son premier roman Echoes from the Dead (Skumtimmen, traduction en anglais Marlaine Delargy).

Les jurés ont vu dans L'heure trouble "ett kraftfullt och gripande drama med en enastående upplösning" [un drame fort et émouvant avec un extraordinaire dénouement].


L'auteur, qui vit à Göteborg, a déclaré au Göteborgs Posten qu'il était très, très content, mais se demandait s'il serait autorisé à ramener dans l'avion le trophée... en forme de dague.

Nous apprenons aussi dans cet article que Johan Theorin vient tout juste de terminer son troisième roman, qui devrait sortir en avril en Suède et s'intitulera bien Blodläge (le terme est un peu macabre car on pourrait le traduire littéralement par "site du sang" -c'est du moins ainsi que je le comprends- mais il désigne en fait une strate de calcaire très rouge que l'on peut trouver sur l'île d'Öland).

Pour les lecteurs francophones il faudra sans doute attendre l'hiver 2010-2011.

samedi 17 octobre 2009

Misterioso : du sang sur le piano

Voici encore un auteur connu en Suède mais qui commence seulement à être traduit en français: Arne Dahl (pseudonyme de Jan Arnald).

Son Misterioso est paru en 2008 chez Seuil, traduit par Rémi Cassaigne. Le titre est disponible chez Points depuis peu.

* * *

Ambiance jazzy

Stockholm, 1997. Deux riches hommes d'affaires sont assassinés en deux jours. Les deux scènes de crime sont similaires, le modus operandi est le même. Le (les?) tueur est méticuleux et ne laisse pas de traces: pas d'empreintes, pas d'ADN, pas de projectiles.

Le lecteur, au début, en sait un peu plus que les policiers puisque nous assistons aux meurtres. Chaque fois un morceau de jazz accompagne le crime, morceau qui donne son titre au roman. Les amateurs de jazz seraient bien inspirés de faire jouer le Misterioso de Thelonious Monk durant leur lecture. Je n'en dirais pas plus...

Misterioso nous plonge dans le travail quotidien d'un groupe d'enquêteurs "d'élite". Jan-Olov Hultin, de la Police criminelle, recrute dans plusieurs villes du pays six policiers (dont une femme, Kerstin Holm) pour former le "groupe A": une équipe de choc qui a pour mission d'identifier et arrêter un probable tueur en série. L'enquête commence sur les chapeaux de roues.

Arne Dahl a une bonne maîtrise du rythme (étant donné le titre, cela s'imposait). Le récit démarre rapidement, ralentit lorsque les pistes initiales s'enlisent et que le moral de l'équipe vacille, puis repart de plus belle avant d'aboutir à un final plein d'action.

Ce roman est un polar pur sucre, avec des personnages très "flics", très pros, qui devront concilier devoir et vie familiale (souvent au détriment de celle-ci). Des policiers aux origines et expériences variées depuis le Viking blond gonflé aux stéroïdes jusqu'au bon flic légèrement tête brûlée, qui échappe de peu aux "boeufs-carottes" (la police des polices) avant d'être recruté par le Groupe A.

Misterioso aborde des thèmes classiques du polar scandinave: la xénophobie, les relations entre les Suédois "de souche" et ceux issus de l'immigration, les abus du capitalisme financier et leurs conséquences (la critique anticapitaliste a d'ailleurs une voix au sein du Groupe A: Arto Söderstedt, qui se définit lui-même comme "le Finlandais de service" et a un itinéraire professionnel assez surprenant).

Paul Hjelm, le personnage principal, est un peu le "Suédois moyen" de l'équipe: bons états de service mais une carrière sans coup d'éclat (sauf au tout début du récit), marié, deux enfants.
Voilà à quoi ressemblait son univers: dans la norme, tous les policiers blancs, hétérosexuels, d'âge moyen. Hors norme, tous les autres. Il regarda les déviants installés sur le canapé: sa femme Cécilia, 36 ans -c'est bien ça?-, sa fille Tova, 12 ans. Public Enemy était ailleurs mais on l'entendait de loin.
Arne Dahl a investi un peu de lui-même dans chaque membre du Groupe A (il va jusqu'à décrire Kerstin Holm comme sa part féminine) mais dans le groupe c'est Hjelm qui ressemble le plus à un alter ego: "han har fått bära min egen osäkerhet inför tillvaron (...) Det värsta är att jag gillar honom - vilket kanske till och med innebär att jag gillar mig själv. Ibland, i alla fall" [il a hérité de ma propre insécurité face à l'existence (...) Le pire c'est que je l'aime bien, ce qui peut-être implique également que je m'aime bien moi-même. Parfois, en tout cas.]

J'ai beaucoup aimé Misterioso et je n'ai qu'une petite critique à formuler: l'intrigue repose sur quelques coïncidences bizarres un peu trop invraisemblables à mon goût. Mais que cela ne vous arrête pas; si vous aimez le travail du policier sur le terrain, la poursuite de pistes multiples, les courses contre la montre, ce roman vous comblera.

* * *

La série

Misterioso n'est que le premier opus d'une série qui met en scène Paul Hjelm et le Groupe A, sur un total de dix ouvrages dont le dernier et onzième (eh oui), Elva, est paru l'an dernier en Suède. Selon l'auteur chaque roman est indépendant, même si les personnages principaux restent les mêmes.

Misterioso et Qui sème le sang (Ont blod) sont disponibles en français -le 2e titre paraît cette semaine au Québec.

Le lecteur doit garder en mémoire ce décalage entre la série originale et la traduction. L'action de Misterioso se déroule en 1997. Lorsque Jan-Olov Hultin et son équipe enquêtent sur des événements de 1992 ou 1993 il s'agit pour eux d'un passé récent.

Voici la liste complète des titres de la série: Misterioso, Ont blod (Qui sème le sang), Upp till toppen av berget, Europa Blues, De största vatten, En midsommarnattsdröm, Dödsmässa, Mörkertal, Efterskalv, Himmelsöga, Elva. (Merci, Bokus.)

Rémi Cassaigne a du boulot devant lui!

Pour finir, je rappelle que la Svenska deckarakademin a accordé en 2007 un prix spécial à Arne Dahl pour l'ensemble de sa série "Groupe A" car elle a contribué au renouvellement et à l'essor du genre en Suède. Un bel hommage!

vendredi 16 octobre 2009

Meurtres sur la côte ouest



La collection Actes Noirs a le vent en poupe.

Après l'énorme succès de la série Millenium de Stieg Larsson, un autre auteur suédois s'assure une bonne place dans les palmarès. Il s'agit de Camilla Läckberg, qui vient de publier en Suède son 7e roman, Fyrvaktaren (Le gardien de phare) dont on peut voir une annonce assez "rétro" sur son blog.

Un gardien de phare? De döda har någott att berätta, les morts ont des choses à raconter? Mord och mörka makter, meurtre et puissances obscures? Mhh... Ça me rappelle quelque chose! Je suis curieux de comparer les approches de Theorin et Läckberg sur ces sujets (les phares et les morts). Cela promet d'être intéressant car son univers est assez différent, plus lumineux, que celui de l'auteur de L'heure trouble (si on fait abstraction des crimes, bien sûr...)

Sont déjà parus en français les deux premiers romans de la série: La princesse des glaces et Le prédicateur.

Le tailleur de pierre est annoncé pour le 19 octobre. Il arrivera en même temps que le 2e Arne Dahl mais ce n'est pas grave, je suis prêt. Envoye, Actes Sud, chu capable d'en prendre!

* * *

Le cadre

Les romans de Camilla Läckberg se déroulent dans une sorte de Saint-Tropez suédois, Fjällbacka, petite ville de la côte ouest située dans la commune de Tanum, entre la frontière norvégienne et Göteborg. Calme l'hiver, populeux l'été. Quelques belles photos sur le site de la (petite) ville (cliquez sur Bildgalleri dans le menu, puis Fjällbacka i dag - Fjällbacka aujourd'hui - pour avoir un aperçu des lieux).

Les histoires mettent en scène Erica Falck, auteure (elle travaille sur une biographie de Selma Lagerlöf lorsque commence La princesse des glaces), Patrik Hedström, inspecteur au commissariat de Tanumshede, leurs proches et leurs collègues.

L'univers de Läckberg me rappelle un peu celui de Kathy Reichs: un habile mélange d'enquêtes policières, d'intrigues personnelles et d'humour. Erica et Patrik vont se retrouver (ils se sont connus enfants avant que leurs chemins se séparent), tomber amoureux, roucouler, se préparer de bons petits plats, fonder une famille... tout en enquêtant sur des meurtres sanglants et des mobiles sordides.

Mais contrairement aux sempiternelles hésitations de l'héroïne de Reichs, Temperance, qui porte bien son nom et attend sagement plusieurs volumes avant d'enfin céder aux yeux bleus acier de son collègue Montréalais, Erica et Patrik ne perdent pas de temps en tergiversations. On se drague dans le premier roman, on met bébé en route dans le second, on l'accueille dans le troisième.

Admirable efficacité scandinave.

* * *

Les héros

La dynamique Erica revient à Fjällbacka après la mort de ses parents, afin de trier leurs affaires et retrouver la maison de son enfance. Elle n'a pas l'intention de s'installer de nouveau dans le village et prévoit retourner à Stockholm une fois les affaires réglées et le sort de la maison décidé. Mais le destin va s'en mêler: Erica est présente lorsqu'on découvre une de ses vieilles amies d'enfance, étendue dans une baignoire, les poignets tranchés. L'air glacé pénétrant par une fenêtre ouverte a gelé la surface de l'eau dans laquelle elle repose.

Ce tragique événement va amener Erica à croiser le chemin de l'inspecteur Patrik Hedström. Lui aussi est un enfant du pays, mais contrairement à la victime et à Erica il est resté fidèle à la petite ville qui l'a vu grandir.

Étranges retrouvailles avec le passé: une ancienne amie morte dans une baignoire gelée. Un ex-copain de lycée bien vivant et flic.
« L'essayage des vêtements et les émotions l'avaient fait transpirer sous les bras et elle se lava encore une fois en pestant. Elle employa près de vingt minutes pour obtenir un maquillage parfait et cela fait, elle réalisa que la décoration avait pris un peu trop de temps et qu'elle aurait dû avoir démarré le repas depuis un bon moment déjà. Elle rangea sa chambre en vitesse. »
Le couple Falck-Hedström est bien établi lorsque commence Le prédicateur. Erica y a un rôle plus effacé. Elle est en effet enceinte -très enceinte- ce qui permet à l'auteure de jouer avec les humeurs de ses personnages et de tricoter quelques scènes amusantes entre une Erica limitée dans ses activités, incapable de dormir sur le ventre (une position qu'elle affectionne), privée de bons petits vins, et un Patrik honteux mais soulagé de pouvoir fuir la mauvaise humeur de sa compagne pour aller enquêter sur deux vieux squelettes, un cadavre, et une disparition.

Le personnel du commissariat de Tanumshede est une autre source de gaieté dans les romans. Outre la secrétaire/mère poule/réceptionniste, les enquêteurs (tous mâles) se composent d'un commissaire imbu de sa personne (Bertil Mellberg), un enquêteur hargneux et incompétent (Ernst), un paresseux (Gösta), un petit jeune prometteur (Martin), et Patrik.

La description de la routine policière -avec ses pesanteurs administratives et ses experts si populaires grâce à certaines séries télévisées- ne passionne guère Camilla Läckberg, du moins dans ses deux premiers polars. Mais l'auteure compense aisément en apportant une touche divertissante à une tradition suédoise plutôt austère dans l'ensemble. Elle a aussi un autre point fort: ses personnages. Läckberg leur donne vie avec beaucoup de succès.
« L'odeur de l'étranger était devenue familière maintenant. Pas désagréable. Pas comme elle aurait pu imaginer l'odeur de la malveillance. »
N'allez pas croire que tout est rose dans l'univers läckbergien: violences conjugales, patriarches abusifs, familles dysfonctionnelles, abus sur mineur... nous sommes en plein dans le monde du polar.

* * *

Potinons un peu

Difficile de ne pas établir un parallèle entre les romans de Camilla Läckberg et sa vie personnelle. Comme Erica, elle vit de son écriture. Comme elle, elle partage sa vie avec un policier, Martin, avec qui elle a eu un enfant il y a quelques mois.

Il semble toutefois que dans son cas la réalité ait imité la fiction, et non l'inverse. La relation Martin/Camilla a commencé de manière plutôt prosaïque: le populaire policier (1) lui a donné quelques conseils alors qu'elle travaillait sur le quatrième roman de la série (Olycksfågeln). La romancière et le flic, qui avaient déjà deux enfants chacun de leur côté, se sont ensuite rapprochés.

Quelques photos de l'heureux couple sont disponibles sur le blog de l'auteure: Mässan i bilder (photos prises durant le Salon du livre de Göteborg, 24-27 septembre 2009).

Je suis curieux de découvrir si l'influence du flic de sa vie est perceptible dans ses romans plus récents. Il faudra patienter pour se faire une idée. Olycksfågeln attend déjà sagement, pas très loin de la table de nuit, que je tourne la dernière page du Tailleur de pierre.


-----
NOTES

(1) Il est connu pour avoir participé en 1997 à une émission de télé-réalité, Expedition Robinson (une sorte de Survivor).

samedi 10 octobre 2009

Leif GW Persson: retour sur l'affaire Palme


Né en 1945 à Stockholm, Leif G.W. Persson a été assistant puis enseignant aux universités de Stockholm et Linköping, et à la fin des années soixante, conseiller auprès du Chef de la police nationale. Il perdra –temporairement– cet emploi en 1977, soupçonné d’avoir fourni une information à un journaliste du Dagens Nyheter (à propos du ministre de la Justice de l’époque et de son penchant pour les prostituées).

Il profite de ce temps libre pour compléter ses études et commencer une carrière d’auteur de romans avec Grisfesten (non traduit en français) qui met en scène un ministre… amateur de prostituées! Il a écrit à ce jour huit romans, dont trois ont été traduits en français.

Son travail d’auteur de romans policiers sera couronné deux fois par la Svenska Deckarakademin (Académie suédoise du roman policier) : en 1982 pour Samhällsbärarna (non traduit en français), et en 2003 pour En annan tid, ett annat liv (Sous le soleil de minuit, édité aux Presses de la Cité, coll. Sang d’encre en 2006, repris au Livre de Poche en 2008).

A aussi été traduit en français : La nuit du 28 février, Presses de la Cité, coll. Sang d’encre, 2005 (repris au Livre de Poche).

Leif G.W. Persson est également l’auteur, avec Jan Guillou, de « livres pour l’homme » (mansböcker), malheureusement (?) pas disponibles dans notre langue, comme Le grand livre du macho ou Le livre de cuisine des gars.

Dans Comme dans un rêve (Éd. Rivages, trad. Esther Sermage), l’auteur met de nouveau en scène le personnage de Lars Martin Johansson, qui occupe désormais le poste de chef de la Direction nationale de la police judiciaire. Johansson va charger une petite équipe de rouvrir discrètement l’enquête sur le plus célèbre meurtre commis en Suède : l’assassinat du premier ministre Olof Palme en 1986.

Criminologiste et auteur, Leif G.W. Persson s’est beaucoup intéressé à l’affaire Palme, qui n’est officiellement toujours pas résolue. Un homme, Christer Pettersson, avait pourtant été arrêté en décembre 1988, jugé en juin-juillet 1989 et condamné à la prison à perpétuité. Le procès d’appel renversera toutefois la décision et Pettersson sera libéré (septembre-octobre 1989). Il meurt en 2004.

Les multiples pistes suivies par les enquêteurs n’aboutiront pas (piste kurde, piste sud-africaine, etc.), ce qui laisse une large place à l’imagination des amateurs de complots… et des auteurs de polars.

* * *

Pourquoi maintenant?

Il y a prescription pour les meurtres, en Suède, après 25 ans. L’assassinat d’Olof Palme sera donc prescrit le 1er mars 2011. À partir de cette date le meurtrier ne pourra plus être inquiété. Un autre auteur suédois, Thomas Kanger, base l'intrigue d'un de ses romans sur ce fameux délai de 25 ans : Le temps du loup, Éd. Presses de la Cité, coll. Sang d’encre, avril 2009)

L'approche de cette date limite va très certainement susciter, en Suède, un renouveau d'intérêt pour l'affaire Palme.

* * *

Rappel des événements

Photo ci-contre: Olof Palme et sa femme Lisbet en 1976 (source Kriminalkanalen).


Résumé des événements : le vendredi 28 février 1986, le premier ministre suédois, Olof Palme, donne congé à sa garde rapprochée à l’approche de la fin de semaine, puis quitte les locaux du gouvernement en fin d'après-midi.

Olof Palme rentre chez lui, dans la Vieille Ville, seul et à pied.

Après dîner, sa femme et lui quitteront leur domicile, prendront le métro (toujours sans gardes du corps), retrouveront leur fils et sa compagne au Cinéma Grand sur le boulevard Sveavägen (photo de gauche, source Wikipedia).

Après le film les deux couples partiront chacun de leur côté. Alors qu’ils se dirigeaient à pied vers la plus proche station de métro le couple Palme est attaqué par surprise par un homme armé, au coin des rues Sveavägen et Tunnelgatan.


Olof Palme reçoit une balle dans le dos. Le tueur tire une deuxième fois, en direction de l’épouse du premier ministre, sans l’atteindre.

Il est 23h21, la plus grande chasse à l’homme de Suède vient de commencer.

Image de gauche: carte des environs du crime et positions des principaux témoins (détails Kriminalkanalen)